Un chat massif au pelage brun gît sur le flanc, une blessure béante traverse son ventre et son sang s’écoule à flots.  Il agonise.  Longtemps.  Ses neuf vies le quittent une à une et il finit par s’éteindre.  Un grondement sourd s’élève et un brouillard voile ma vue.  Une fois le brouillard levé la scène s’est modifiée: plus de chat brun mais deux camps qui se font face.  L’un est un mélange hétéroclite de chats en plus ou moins mauvais état devancé par un petit chat aux griffes acérées.  L’autre est composé des clans.  Tous les clans.  Je ne sais pas comment je les ai reconnus mais j’ai la conviction que c’est eux même si je ne reconnais aucun chat.  Je fais partie de ce groupe.  À notre tête un matou roux flamboyant.  Un feulement retentit, je bande mes muscles et m’élance avec les autres…



Je me réveille avec l’odeur du sang dans mes narines.  Un rêve, encore un.  Depuis quelques temps ils se font plus réels mais je ne suis pas sûre d’en comprendre le sens.  Comme un souveir, quelque chose qu’auraient vécu les clans il y a fort longtemps.  Le corps dans lequel j’étais n’était pas le mien: trop puissant, trop robuste, trop grand.  Je secoue la tête, pourquoi est-ce que je me mettrais à voir des scènes des temps passés?  Un message?  Peut-être, après tout je dois m’attendre à tout mais quand au sens de ce message je nage dans le brouillard.

Passé et présent sont indéfectiblement liés, souviens-toi.

Cette voix, où l’ai-je entendue?  En rêve ou durant ma vie?  Ca me semble si lointain!  Je secoue ma tête, hors de question de gamberger toute la journée là-dessus, j’y repenserai ce soir.  Je m’étire et reprends patte dans la réalité, l’astre du jour n’est pas encore levé mais une pâle lueur rosée dans le ciel annonce l’imminence de ce moment.  Dans mon antre règne une douce pénombre et l’odeur de la lavande désormais totalement repris ses droits sur celle de la maladie.  La maladie.  Durant plusieurs lunes elle a frappé de manière impitoyable proies et chats de tous les clans avant de reculer sans explication.  Il y a maintenant une demie-lune que les derniers malades ont quitté ma tanière.  L’ancienne Museau Rayé en rejoignant le clan des Etoiles mais Nuage d’Orge en vainquant la maladie grâce à sa robuste constitution.  cela avait marqué le retour de l’espoir dans le clan et depuis la maladie se fît de moins en moins présente.

Afin d’éviter un retour en force je me dirige vers le tas de gibier pour examiner les proies afin de vérifier si elles sont saines.  À mon grand plaisir je le trouve relativement fourni par rapport à ce à quoi je m’étais habituée depuis la début de la saison des feuilles mortes: trois lapins, une pie, deux écureuils et une souris certes pas tous de première fraicheur mais sains.  Je n’aime pas manger juste après le réveil et je quitte donc le tas sans prendre de proie.  

Je me dirige vers le coin des anciens pour apporter du séneçon à Moustache Grise qui se plaint de ses articulations à cause de l’humidité.  Une fois de retour je commence ma toilette puis je me mets à trier mes plantes, mon activité principale ces derniers temps.  Il faut dire qu’avec le calme inattendu je peux enfin faire un vrai tri au lieu de prendre ou de mettre à la hâte des remèdes entre deux victimes de la maladie.  Une petite voix flutée se fait entendre:

- Bonjour! Qu'est-ce que tu fais? Je peux t'aider?

Je me retourne pour faire face à une Patte de Velours aux yeux pétillants et aux moustaches frémissantes.  Je souris, en quelques lunes elle a bien grandit et est maintenant une vraie boule d’énergie.

-Je suis en t...train de faire le tri entre les remèdes pourris et ceux qui sont encore bons, ça serait bête de rendre quelqu’un mal..lade en lui donnant des feuilles fermentées non?

J'accompagne ma tirade d'un clin d'oeil qui a pour effet de me rendre aveugle un instant puisque c'est mon oeil gauche que je ferme.  Je ne me fais décidément pas à cette impression d'avoir un oeil ouvert sans y voir.